Les fulgurants progrès de la machine face à l’homme

182

Depuis la victoire de l’ordinateur Deep Blue contre le champion d’échecs Garry Kasparov en 1997, la machine n’a cessé de démontrer ses capacités à surpasser l’être humain dans des tâches de plus en plus complexes… sans lui arriver encore à la cheville en terme d’adaptabilité et de polyvalence. La victoire de Deep Blue était un évènement «culturellement incroyable», mais «technologiquement, ce n’était qu’un beau succès», explique Philippe Rolet, docteur en intelligence artificielle. Sur le fond, le succès de Deep Blue n’est qu’une victoire de «force brute», explique le co-fondateur d’Artefact, une entreprise de conseil et développement technologique dans ce domaine. A ce moment, la machine gagne grâce à sa formidable puissance de calcul, qui lui permet de déterminer toutes les possibilités d’évolution du jeu très loin dans la partie, et d’en déduire la meilleure pièce à jouer. En réalité, la vraie révolution est à ce moment à peine en train de sortir des laboratoires: c’est celle de l’apprentissage machine (ou automatique), et des réseaux de neurones artificiels, qui a fait accomplir d’immenses progrès à l’IA au cours de la dernière décennie. Alors que Deep Blue savait jouer aux échecs grâce à toute une architecture de règles logiques inculquée par l’être humain, les nouvelles machines se forgent elles-mêmes leurs propres règles, dans une période d’apprentissage ou elles ingèrent des montagnes de données. «On passe d’une programmation impérative à une programmation par apprentissage», explique Philippe Rolet. Dans les jeux, l’effet est saisissant. En 2017, l’algorithme AlphaGo de la société DeepMind, fondé sur l’apprentissage machine, bat le meilleur joueur du monde de go, Ke Jie. Avant AlphaGo, «il y avait des spéculations sur le handicap qu’il faudrait donner à Dieu pour que l’homme fasse jeu égal avec lui», racontait récemment Cédric Villani, le député mathématicien, auteur en 2018 d’un rapport fondateur sur l’IA. «Et puis en voyant le niveau d’écrasement de l’humain» par AlphaGo, «on a compris que l’humain était bien moins bon qu’il ne le croyait. Certains coups de l’algorithme qu’on avait cru être au départ des erreurs de débutant se sont révélés être des coups géniaux», poursuivait-il. Les machines sont même capables aujourd’hui de battre les humains dans des jeux à univers incertains, comme le poker, ou le bridge, comme l’a démontré récemment la start-up française NukkAI. Ces pas de géant dépassent complètement l’univers des jeux, où la machine n’a plus grand chose à prouver. Ces dernières années, l’IA a fait des «progrès absolument incroyables qui m’ont surpris moi-même», explique Yann LeCun, le chef de la recherche en IA chez Meta/Facebook, et l’un des pères fondateurs de l’IA moderne. Mais les machines butent encore sur des obstacles. «Ce n’est pas parce qu’on peut tenir un dialogue amusant avec GPT3», l’époustouflant générateur de texte de la startup OpenAI d’Elon Musk, que celui-ci «va pouvoir nous aider dans la vie de tous les jours», nuance-t-il. Ce qui manque pour concevoir cet assistant virtuel – et sans doute aussi pour fabriquer la véritable voiture autonome – c’est d’arriver «à une méthode d’auto-apprentissage générale», souligne Yann LeCun. «On mettrait l’ordinateur devant 200 heures de vidéo, et à partir de cela, il parviendrait» à une forme de «compréhension du monde». C’est ce qui lui permettrait ensuite d’arriver à des capacités d’apprentissage «plus proches de ce que l’on observe chez les animaux et les humains», explique-t-il. Le chercheur est convaincu que les machines auront un jour «une capacité à apprendre universelle, capable d’apprendre tout ce que les humains apprennent, dans la plupart des cas avec des capacités supérieures». «Mais quand cela va se passer? La réponse n’est pas claire», conclut-il.