«Les «sitcoms» se portent comme un charme aux EU

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La télévision a beau être en pleine mutation, les «sitcoms», des séries comiques au format quasi-inchangé depuis 70 ans, se portent comme un charme aux Etats-Unis, à l’image de «The Big Bang Theory», programme non-sportif le plus regardé de la saison dernière. Loin des morts-vivants de «Walking Dead», des luttes de pouvoir de «Game of Thrones» et de séries dramatiques toujours plus sophistiquées, la «situational comedy» continue de tirer avec bonheur sur les ficelles du genre lancé à la fin des années 1940: personnages et décors récurrents, situations comiques ponctuées de rires en fond sonore. Outre «The Big Bang Theory», sans battre des records d’audience, «Modern Family», «The Goldbergs» et «Black-ish» sont ainsi reconduits saison après saison par les grandes chaînes américaines. Et cet automne, une nouvelle promotion a débarqué sur le petit écran, emmenée par les très classiques «Kevin Can Wait» et «Man With a Plan». «Le genre se porte bien et je m’attends à ce que ça continue encore un moment», explique Martie Cook, professeure d’écriture pour la tv et le cinéma à Emerson College. Pour elle, cette longévité tient d’abord au fait que les 2 grands ressorts du sitcom demeurent efficaces dans la société actuelle: le comique et des «histoires qui ressemblent beaucoup à nos vies quotidiennes», articulées autour d’une famille, qu’elle soit biologique, recomposée, ou sans liens de parenté. Pour Doug Smart, réalisateur et producteur qui tourne chaque année un sitcom avec des étudiants de l’université d’Asbury, «le truc, c’est de créer des membres de cette famille qui évoquent quelque chose chez les téléspectateurs», qu’il s’agisse du vieil oncle ou du collègue de bureau. Avec la multiplication des supports vidéo, notamment l’émergence du smartphone, et la production de programmes destinés à des niches d’audience, le sitcom conserve aussi une fonction devenue rare: rassembler la famille. «(…) vous pouvez vous asseoir avec vos enfants», observe Candace Cameron Bure, héroïne de la série «Fuller House» sur Netflix. Même les «millennials» en redemandent, séduits en partie par des épisodes de courte durée, une demi-heure seulement. «Ils adorent peut-être l’imaginaire, à la manière d’un «Game of Thrones», et le drame, mais ils aiment que les comédies soient plus proche de la réalité, avec des situations du quotidien», observe Doug Smart. Autre clé de la réussite des sitcoms: leur vertu relaxante. «On coupe avec le stress de nos existences. Et on rit», dit Martie Cook. Preuve de la durabilité du concept, «Fuller House» a été créée par la plateforme de télévision en ligne Netflix, longtemps restée à l’écart du genre. Parmi les rares évolutions du concept, la fin des rires pré-enregistrés, le fameux «laugh track» caricatural. Les rires, lorsqu’il y en a, viennent d’un vrai public présent lors de l’enregistrement. Acteurs et scénaristes soulignent ainsi que, derrière la routine apparente, l’exercice du sitcom n’a rien d’évident. «Ça peut vous faire mal à l’ego quand ça ne fonctionne pas» et que le public ne rit pas, lance Justina Machado, l’héroïne de «One Day at a Time», un sitcom de Netflix lancé en janvier. Sous l’apparence de superficialité, Martie Cook rappelle aussi que les sitcoms, comme les séries dramatiques plus sophistiquées, interrogent régulièrement la société américaine. Six ans avant la légalisation du mariage homosexuel dans l’ensemble des Etats-Unis, «Modern Family» avait choisi parmi les personnages de sa «famille» 2 hommes en couple de longue date, Mitchell et Cameron, pères d’un enfant adopté. Dans un autre registre, un épisode de «Black-ish» a abordé frontalement la question des brutalités policières visant les Noirs. «Quand vous en parlez de manière drôle», analyse Martie Cook, «les gens sont plus disposés à écouter (…)». «Cela n’entraîne peut-être aucun changement direct», explique Doug Smart, «mais au fil du temps, cela attire l’attention des téléspectateurs» sur certains sujets.