Avec Belmondo, l’époque du cinéma français triomphant s’en va

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Avec Belmondo, c’est une époque qui s’en va: celle d’un cinéma français triomphant, électrisé à la fois par l’audace de la Nouvelle Vague et par des stars attirant sur leur nom, la clope au bec, des millions de fans en salles.Bébel était «patrimonial»: avec sa mort, c’est «une époque de cinéma qui disparaît, avec lequel on a tous grandi – à part les moins de trente ans», souligne Guillaume Evin, auteur de l’ouvrage «Belmondo le livre Toc Toc Badaboum», qui sort début octobre. «C’était une époque où le cinéma était magique ! Les acteurs étaient des icônes», quand ils sont aujourd’hui concurrencés par «la télé et les plateformes» de streaming, ajoute Philippe Lombard, qui consacre un livre aux «Grandes gueules du cinéma français». De cette période mythique et vintage, la plupart des réalisateurs ont disparu. Georges Lautner, Philippe de Broca, Henri Verneuil, artisans des plus grands succès de Bébel, sont morts ces deux dernières décennies. Claude Lelouch, le réalisateur d’«Itinéraire d’un enfant gâté», est encore là. Pour l’historien du cinéma Patrick Brion, Belmondo l’insouciant symbolise un temps, celui des Trente Glorieuses, après la guerre, «la sortie d’une période difficile où l’on voulait rêver», explique-t-il. Une époque révolue, où le cinéma occupait une place centrale. Des complices de Bébel en écran, peu sont encore en vie. Mis à part son alter ego, bien sûr, l’autre dernière grande star à laquelle des millions de Français des années 1970 ont pu s’identifier, Alain Delon.Belmondo, «c’est une partie de ma vie», a déclaré ce dernier, désormais dernier vieux lion du cinéma tricolore, après la mort de son comparse. Belmondo et lui ont régné sans partage sur le cinéma français pendant au moins deux décennies, succédant à Lino Ventura ou Jean Gabin. Côté actrices, Brigitte Bardot, 86 ans, star internationale qui a symbolisé le cinéma et la France dans le monde entier, en a depuis longtemps claqué la porte. Dans le monde, la disparition de Belmondo tourne aussi une page, tant il restait associé à la Nouvelle vague, ce mouvement de jeunes réalisateurs (Truffaut, Godard….) qui voulait faire table rase d’un cinéma français corseté, et dont le vent de liberté a marqué le cinéma du monde entier. Le journal «Variety», bible d’Hollywood, qualifie Belmondo «d’icône française de sa génération» pour son rôle dans «A bout de souffle» de Godard, et le compare à James Dean, Humphrey Bogart et Marlon Brando, figures elles aussi d’un temps révolu. Là encore, la disparition de Belmondo semble refermer un chapitre: la révolution de la Nouvelle vague est bien loin, même si son chef de file Jean-Luc Godard est, à 90 ans, toujours révéré et ne cesse de produire des objets filmiques non identifiés. Côté interprètes, deux figures de ce mouvement, mais bien loin d’avoir acquis une aura populaire comparable au «mythe» Bébel, sont toujours là: Jean-Louis Trintignant (90 ans) et Jean-Pierre Léaud (77 ans), l’Antoine Doinel de Truffaut.Le cinéma produira-t-il encore des monstres sacrés à l’image de Belmondo ? La génération suivante a certes donné naissance à Gérard Depardieu (72 ans), acteur au talent immense qui a su lui aussi mener de front rôles tragiques et comédie pure, ou à Catherine Deneuve, icône dans l’Hexagone comme à l’exportation. Des carrière difficiles à imaginer aujourd’hui, souligne Guillaume Evin: «il n’y a plus d’acteurs dominants, les réalisateurs estampillés cinéma d’auteur choisiront leurs acteurs, les réalisateurs plus grand public en ont d’autres». «Quand on pense à Belmondo, on l’entend», poursuit Patrick Brion, pour qui il manque au cinéma français d’aujourd’hui «de grands producteurs, des scénaristes et des dialoguistes» capable de donner des «voix» spécifiques aux acteurs.